Philosophie et psychanalyse /// La palinodie de Socrate

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La santé de l’âme a aujourd’hui ses chercheurs attitrés et ses techniciens confirmés. Pour pénétrer les échanges qui se déroulent entre les membres de cette noble corporation, mieux vaut faire profil bas et accepter que la chose n’aille pas de soi…

S’il vous est arrivé de feuilleter un jour quelque revue de psychologie clinique, vous serez certainement d’accord pour estimer que le langage de ces messieurs dames est un haut lieu du discours jargonneux, dont la possession relève du signe hautement distinctif. Car, derrière une affabilité — très professionnelle — il y a, n’est-ce pas, le sérieux d’un savoir pointu : et là mieux vaut avoir l’intelligence de comprendre qu’en fait de corporation, il s’agit d’un club très fermé.

C’est, direz-vous, la rançon du progrès. Mais, justement, notre propos depuis quelque temps dans cette chronique est de sonder les reins de ce progrès… Et si les anciens avaient quelque chose à nous apprendre ! C’est ce que nous avons suggéré les semaines précédentes en évoquant deux récits qui appartiennent au domaine religieux de deux traditions différentes : la grecque et la chrétienne.

Il est cependant un texte qu’on ne saurait manquer de rappeler et qui, lui, nous vient de la tradition philosophique. Il s’agit de ce que l’on appelle la «palinodie» de Socrate dans le dialogue platonicien intitulé le Phèdre (244 a-e). Le vieux sage répond à un certain Lysias qui affirme dans un de ses discours qu’il vaut mieux avoir pour amant quelqu’un qui ne vous aime pas plutôt que quelqu’un qui vous aime.

La «folie» de qui aime est présentée comme un sujet d’embarras et de tracas… Socrate s’était laissé aller, dans un premier temps, à rejoindre ce point de vue mais, alerté d’une sorte d’impiété, d’offense aux dieux, il s’est ravisé et a changé son discours. C’est précisément ce que veut dire le mot «palinodie».

Son discours est désormais le suivant : «S’il était vrai, en effet, que la folie soit, dans tous les cas, un mal, ce serait bien parler. Mais le fait est que les biens les plus grands nous viennent d’une folie qui est, à coup sûr, un don divin»… Comment cela : les biens les plus grands nous viendraient d’une folie qui serait elle-même un don divin ? Il semble que par une telle affirmation Platon aille au-delà de ce que nous avons supposé.

L’éloge de la folie

Dans la suite du texte, Socrate développe ce point et parle de quatre formes de folie qui illustrent sa supériorité dans les actions des hommes par rapport à celles qui sont accomplies dans l’état de bon sens. Tout d’abord, il y a la supériorité de l’art de la divination sur celui de qui interprète le vol des oiseaux.

Cet art de la divination, Platon invoque l’étymologie du mot «maniké» pour déclarer qu’il est «art de la folie»… Il y aurait donc une clairvoyance de la folie quant à l’avenir à laquelle n’atteint pas celui qui croit user d’expédients tirés de l’expérience !

Une autre forme de supériorité de la folie est celle qui se manifeste dans la poésie : «Devant la poésie de ceux qui sont fous s’efface la poésie de ceux qui sont dans leur bon sens», déclare Socrate !

Une autre encore est celle qui concerne l’amoureux et qui va intéresser plus particulièrement l’auteur. Pas seulement parce qu’elle répond plus spécialement à la thèse de Lysias, mais aussi parce qu’elle ouvre du champ par rapport au thème de l’érotisme de la connaissance, qui débouche lui-même sur un des thèmes majeurs de la pensée platonicienne : l’amour du beau dans les choses sensibles comme initiation à l’amour du Beau en soi.

Mais, auparavant, Platon avait évoqué par la bouche de Socrate une quatrième forme de folie qui nous intéresse, nous plus particulièrement, et qui semble placée du côté de l’art de guérir plutôt que du côté des maux à guérir. Il est question de maladies et autres épreuves qui sont le résultat «d’antiques ressentiments divins» et qui, souvent, frappent des familles entières : «La folie, en apparaissant et en suscitant le don de prophétie chez les gens qu’il faut, a trouvé le moyen de les écarter, et cela par un recours à des prières aux dieux et à des rites…» La folie, don divin, est aussi don de guérison ! Retenons bien ceci : la folie, don de guérison !

On aurait tort de penser ici que Platon ne fait que reprendre à son compte d’anciennes croyances. Ce serait mal connaître le personnage. S’il reprend en effet, c’est que la chose prend sens du point de vue de la rigueur de sa pensée.

Il y a bien pour lui quelque chose de divin dans la folie, ou en tout cas une folie qui relève du divin, et cette folie est paradoxalement la réponse de l’homme aux maux qui le poursuivent et que nos psychologues modernes classeraient volontiers sous la rubrique des obsessions, paranoïas et autres névroses.

Mais qu’est-ce que l’âme ?

Sans prétendre départager les uns et les autres, anciens et modernes — tout en étant convaincu que l’assurance des modernes de détenir les titres de la supériorité n’est pas dénuée elle-même d’une forme de croyance, donc de naïveté — il paraît raisonnable d’établir au moins le constat d’un désaccord net.

Un désaccord dont nous avons toutes les raisons de croire qu’il peut êtres très fécond dans la mesure où nous parvenons à le réduire de façon équitable et juste.

Si la psychothérapie est réparation de l’âme, et si nous nous interrogeons ici sur la justesse de son approche dans une logique comparative, peut-être est-il temps de se demander à quoi renvoie plus précisément le mot «âme» : entend-on la même chose par ce mot à l’époque des anciens Grecs et à notre époque ? Qu’est-ce, enfin, que l’âme ? Car il est inutile de poursuivre une comparaison alors que nous ne savons pas si le terme à partir duquel s’effectue cette comparaison n’est pas identique…

Poser cette question, cependant, c’est s’engager sur un terrain difficile de la méditation philosophique où nous aurons bien sûr à revenir sur la réponse qu’en donnent les deux grandes figures de la pensée grecque que sont Platon et Aristote, qu’on la confronte à l’âme issue de l’expérience cartésienne du doute, qu’on passe en revue l’histoire des fissures de cette âme qui rime avec certitude de soi, donnant lieu finalement à la découverte d’un «inconscient»…

Sans oublier enfin de revenir à ce que le mot peut revêtir comme sens quand on retourne aux textes de la tradition monothéiste, comme nous l’avons fait récemment en évoquant le passage des évangiles où il est question du possédé délivré de ses démons par Jésus. L’âme se prête à de multiples lectures !

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