La guerre en Syrie a changé de visage. Depuis le lancement des négociations à Genève en février dernier, elle se déroule alternativement, mais aussi simultanément, sur le terrain de la diplomatie et sur celui de l’affrontement armé dans les quartiers des villes… On ne parvient pas à obtenir un franc silence des armes et un passage clair à la phase des négociations autour des conditions de la transition. Il y a des trêves à l’intérieur de la trêve, comme des poupées russes !
La semaine dernière, un camp de réfugiés a été bombardé à Idleb, provoquant des dizaines de victimes parmi des habitants, femmes et enfants pour la plupart, qui avaient fui les combats à Alep. L’ONU a exprimé son horreur et demandé une enquête: qu’avait-elle d’autre à faire ?
A Alep, où se mêlent en un redoutable écheveau des combattants concernés par la trêve et d’autres qui ne le sont pas — parce qu’ils sont inscrits sur la liste des organisations terroristes — la trêve se négocie, ou se viole, presque au jour le jour, en fonction des opportunités d’offensive et de la situation humanitaire. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas des hôpitaux et des cliniques d’être la cible des attaques. Regroupés sous la bannière du Haut comité des négociations (HCN), les rebelles dits modérés menacent régulièrement de quitter la table des négociations — d’ailleurs désertée actuellement — en mettant en cause les bombardements de l’aviation du régime et de «ses alliés».
La rupture déclarée de la trêve dans cette ville du nord du pays signifie que là, dans un périmètre de quelques kilomètres carrés, la guerre est ouverte, non seulement entre les protagonistes des négociations de Genève et, d’autre part, des groupes armés terroristes, mais aussi entre ces protagonistes eux-mêmes. De telle sorte que l’armée du régime, par exemple, va se retrouver confrontée aux combattants d’Al-Qaïda, mais aussi à ceux du groupe Ahrar Al-Sham, qui ne s’estiment plus tenus par les engagements de cessez-le-feu de Genève, dont ils sont pourtant partie prenante.
Une situation analogue existe dans une banlieue de Damas impliquant un autre groupe de rebelles qui, tout en étant engagé dans les discussions de Genève avec les représentants du régime, se retrouve dans le combat contre son armée dans le quartier de la Ghouta orientale… Il s’agit de Jaych Al-Islam, groupe soutenu essentiellement par l’Arabie Saoudite et dont le chef est également à la tête du HCN.
Le bilan des victimes depuis le début du cessez-le-feu a dépassé les 300 morts et le décompte macabre est en grande partie imputé à l’aviation syrienne, bien que cette façon de voir est sans doute trop simpliste. C’est cependant une donnée qui nuit à l’image du grand allié du régime syrien, la Russie. D’où une initiative prise hier par Moscou consistant à demander à l’ONU d’inscrire les deux groupes cités — Ahrar Al-Cham et Jaych Al-Islam — sur la liste des organisations terroristes…
Cette initiative n’a pas eu de résultat et avait d’ailleurs peu de chances d’en avoir, étant donné qu’une unanimité était requise de la part des 15 membres du Conseil de sécurité. Il reste que l’accusation portée contre ces deux groupes devient un élément politico-médiatique de poids qui, tout en atténuant les soupçons au sujet de la nature «immorale» du soutien apporté par la Russie au gouvernement syrien, nous invite à nous interroger sur le véritable profil idéologique et militaire de ces deux organisations.
C’est en tout cas le véritable objectif de la démarche russe… Le texte de la demande adressée au Conseil de sécurité fait état de «preuve que ces organisations, se battant en Syrie, entretiennent des liens étroits avec des organisations terroristes, notamment l’Etat islamique et Al-Qaïda, dont elles reçoivent un soutien financier, matériel, technique et militaire».
Notons que les pays qui ont rejeté la proposition russe ne l’ont pas fait en défendant les bonnes intentions des organisations mises en cause : elles ont surtout invoqué des considérations liées à son opportunité par rapport au maintien de la trêve et à la reprise des négociations… Ce qui est peut-être une façon de mettre ces organisations sous pression eu égard à des tentations qu’elles auraient de pratiquer le jeu des alliances secrètes avec la mouvance terroriste.
Il reste que tout le monde gagnerait à ce que le profil de ces deux organisations soit clarifié, d’abord en raison du rôle important qu’elles sont appelées à jouer dans l’avenir de la Syrie et, ensuite, parce que cela enlèverait toute possibilité pour Moscou de justifier son soutien au régime syrien à chaque fois que ce dernier se livre à un massacre de civils.