En un sens, l'Union internationale des savants musulmans, c'est le nom du projet que nous ne voulons pas pour ce pays et pour son peuple. Et que nous rejetons de toutes nos forces. Nous y trouvons cette ambition de faire de nous des sujets obéissants, soumis à un ordre censé nous assurer le bonheur ici-bas et dans l'au-delà. Et donc à perpétuer une situation d'asservissement des esprits, qui est précisément ce contre quoi tant de nos aînés se sont insurgés.
Mais ce qui est surprenant, et qui révèle une faiblesse intellectuelle de notre part, c'est que nous ne voyons pas d'autre moyen d'écarter le projet en question de notre horizon autrement qu'en cherchant à chasser ses représentants de notre espace politique. C'est cette façon de reproduire les mêmes gestes qui, de proche en proche, ont mené la fière Tunisie de la période d'après l'indépendance à se transformer en une hideuse dictature.
Ce qui est surprenant, c'est notre incapacité à nous expliquer avec le projet islamiste et à le pousser dans les retranchements de ses présupposés doctrinaires. Toujours nous retombons dans la logique - indigente et mortifère - du complot, de toute cette rhétorique autour de la trahison et de la diabolisation. Par laquelle nous croyons justifiés tous les dépassements, qui peuvent aller très loin... Est-ce de cette façon que nous envisageons de marquer notre entrée dans la modernité, cette modernité dont nous nous vantons de représenter les tenants ?
Il faudrait quand même considérer un jour le risque qu'en nous conduisant de cette manière nous ne soyons pas en train d'apporter au monde et à nous-mêmes la preuve que nous ne sommes pas capables de donner un sens positif à notre expérience de la modernité. Que tout ce que nous savons en faire, c'est de la ramener à des pratiques obscures d'un autre âge, qui sentent le tribalisme le plus détestable.
L'actualité du jour, de mon modeste point de vue, ce n'est pas ce bras de fer qui a lieu autour de l'Union des savants musulmans, c'est le fait que des intellectuels tunisiens se rangent derrière l'initiative d'un parti dont les pratiques incarnent justement le choix qui a signé dans le passé à la fois la défaite de la pensée et l'émergence de la dictature. C'est la même démission qui nous est donnée à constater, mais cette fois dans sa forme récidiviste.
Nous avons besoin des islamistes. Parce que nous avons besoin de croiser le fer avec la pensée qu'ils représentent et qui fait partie de nous et de notre histoire. Parce que notre vraie modernité ne peut pas s'affirmer en dehors de l'explication sereine mais sans concession que nous devons engager avec leur projet politico-philosophique.
Parce que cette modernité qui nous a été proposée comme un modèle prêt à l'emploi - et qui est incapable de se défendre de façon moderne -, il est temps qu'elle comprenne qu'elle n'est pas la vraie option et que c'est une autre pensée qu'exige de nous l'Histoire aujourd'hui.