Quelqu'un a dit qu'en cherchant à éliminer de la scène politique un acteur, un acteur quel qu'il soit, on semait les germes de la guerre civile. Ce quelqu'un vient d'être arrêté. Il est accusé d'avoir "incité" à la guerre civile... On ne veut pas se rendre compte qu'avec cette même logique, si vous dites par exemple à quelqu'un qu'en abusant de la cigarette, il creuse sa tombe, il pourra vous accuser d'avoir prémédité sa mort.
Le fait d'avoir établi, sur un plan théorique, un lien de causalité entre deux événements - l'exclusion forcée d'un acteur politique et la guerre civile - ne veut pas dire qu'on a appelé à prendre les armes. Ceux qui le croient confondent le constatif et le performatif.
Depuis quelque temps, c'est une habitude : les injures aux principes du droit vont de pair avec les injures au sain raisonnement. Et, en la matière, plus c'est gros, plus ça passe : c'est ainsi.
Non seulement ça passe, mais il y en a qui se réjouissent, au prétexte que l'intéressé serait une sorte d'incarnation du diable. Des crimes lui sont imputés, sans que la justice n'ait statué, mais peu importe : quand on croit au diable, quand on communie dans la vindicte autour d'une figure collectivement honnie, non seulement la justice n'est pas nécessaire, mais elle n'est pas la bienvenue. A moins bien sûr qu'elle se contente de se faire l'écho de la vindicte en question, qu'elle appose seulement son sceau sur le verdict populaire…
Vous vous demandez peut-être si la démocratie de ce pays a des défenseurs ? Sans doute, et heureusement. Mais ce qui est sûr, c'est qu'elle a des fossoyeurs. A tous les niveaux et à travers le large éventail des classes et des catégories.
Ce qui les rassemble : une déficience dans le raisonnement, un intérêt très modeste pour le droit d'autrui et, surtout, une croyance au diable en lieu et place d'une disposition à affronter ses adversaires - intellectuellement et politiquement - de manière honorable…