Il fut un temps où la critique politique était une action à haut risque. Parce que le pouvoir était prompt à la punition la plus dure et qu'il disposait des moyens policiers et extra-policiers qui lui permettaient d'identifier, d'encercler, d'étouffer, de neutraliser et, s'il le faut, de liquider.
Aujourd'hui, la critique politique n'est pas sans risque, et pourrait bien l'être de moins en moins dans les mois à venir. Mais, en réalité, ce n'est pas pour cette raison qu'elle est rendue difficile. Ce qui la rend difficile, c'est que le pouvoir en place se charge lui-même de se dénoncer.
C'est à croire qu'il fait exprès de donner des arguments prêts à l'emploi contre lui. De sorte que le critiquer, c'est pour ainsi dire faire de soi-même son auxiliaire, dont la tâche est de lui mâcher le travail, de brasser des évidences, de lever le voile sur ce qui est déjà d'une lumière aveuglante. Ce qui n'est pas très excitant.
Entre temps, on notera qu'il existe en ce pays des intellectuels prêts à défendre l'indéfendable, sans doute en raison d'une tradition de mercenariat qui perdure, et on notera aussi qu'il existe tout un peuple de braves gens chez qui le bon sens est un organe atrophié.
Face à ce double phénomène, il s'agit de savoir si le travail de persuasion est efficace et s'il ne vaut pas mieux attendre que les volontés fléchissent d'elles-mêmes, comme on attend que passent des vents mauvais.