Le prisme et l’horizon / Daech : les raisons d’une résistance

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Formulée ou pas, la question est dans tous les esprits : «Comment une organisation dont la puissance militaire est sans commune mesure avec celle de pays comme les Etats-Unis, la Russie ou la France, arrive-t-elle à tenir tête à ces pays réunis, et d’autres encore qui font partie de la coalition internationale engagée contre les jihadistes de Daech ?

On devise à loisir sur les raisons de cette capacité de résistance… Certains, qui recèlent en leur cervelle quelques relents de fanatisme, se laissent aller à des analyses farfelues sur la secrète supériorité qui serait octroyée, de façon surnaturelle, aux combattants de l’islam… C’est vrai, on doit le concéder, l’amour de la mort chez les jihadistes de Daech est un facteur qui leur confère, sur le terrain, un certain avantage psychologique. Ce phénomène n’a rien de surnaturel, cependant : il est le résultat d’un travail de conditionnement qui a atteint un certain degré de perfection chez les recruteurs et les formateurs de l’organisation jihadiste. Mais que peuvent des soldats prêts à la mort contre la puissance de feu des hélicoptères et des chars, quand ils arrivent en nombre ? Pas grand-chose !

D’autres, plus raisonnables, se rendent bien compte que la coalition qui s’est formée contre l’ennemi n’est pas homogène. Que des objectifs divers et en partie contradictoires freinent considérablement les capacités d’action. Comme si, en même temps qu’ils combattaient ensemble un ennemi commun, les membres de la coalition devaient faire attention à ne pas entamer leur qualité d’alliés les uns par rapport aux autres, ou à glisser sans crier gare dans une relation qui serait devenue de rivalité et de suspicion réciproque. Car, on le sait bien, il y a ceux qui, tout en combattant les jihadistes, voudraient voir le régime de Bachar El-Assad tomber le plus rapidement possible et laisser la place à un paysage politique entièrement nouveau, qui se chargerait de reconstruire la Syrie sur des bases démocratiques nouvelles, tandis que d’autres préféreraient au contraire que ce régime se maintienne et qu’il soit partie prenante de la transition politique programmée… Et on ne parle pas des autres préoccupations, liées à des questions d’équilibres régionaux entre sunnites et chiites, Turcs et Kurdes, etc.

La réunion du G20 dimanche dernier en Turquie, dans la foulée d’une vague d’attentats de grande envergure, tous orchestrés par l’Etat islamique — dans le Sinaï, à Bagdad, à Beyrouth, à Paris et, quelque temps auparavant, à Ankara —, sans compter ceux qui viennent d’être déjoués et qui auraient pu apporter leur lot de désolation, cette réunion aurait pu souder les énergies et pousser les uns et les autres à dépasser leurs méfiances. Car ces attentats n’ont épargné presque personne.

La rencontre en aparté entre Obama et Poutine, très remarquée et commentée lors de cette réunion, a pu laisser croire qu’un changement majeur était en train de s’opérer. Or la prudence est de nouveau de mise. Dans une allocution, le président américain en a d’ailleurs profité pour réitérer sa position : «Mes conseillers militaires et moi-même sommes d’accord, a-t-il déclaré, pour considérer qu’une présence au sol serait une erreur.» On sait que la position des Russes n’est pas très différente : leur présence est dans les airs mais, au sol, elle se résume à du soutien en équipements et en conseil. Avec les conséquences que l’on sait : un impact limité sur la capacité de nuire des jihadistes !

Qu’est-ce qui bloque ? Qu’est-ce qui résiste ainsi à une volonté quasi universelle d’en finir une bonne fois pour toutes avec le visage hideux de Daech et de ses menées macabres ?

Ce qui résiste, c’est que le monde a compris, le monde est profondément convaincu que l’hydre terroriste ne sera durablement vaincue que si les peuples de la région — qui en subissent les conséquences désastreuses plus que tous les autres — montent en première ligne pour donner l’assaut en surmontant eux-mêmes les motifs de leurs divergences. Tant que le travail est fait par d’autres, on perpétuera une culture de passivité qui fera de nos populations des cibles de choix de l’idéologie jihadiste.

Nous avons besoin de construire une politique de consensus actif en matière de lutte contre le jihadisme, à la fois pour en prévenir le développement dans les villages et les quartiers et pour mener contre lui un combat armé sans merci partout où il se dresse avec ses prétentions à la domination… La Syrie est sur le point de remporter cette bataille culturelle décisive. L’enjeu sera au cœur des négociations qui se profilent à l’horizon entre les différents acteurs de la scène politique syrienne, dont on espère qu’ils sauront s’asseoir bientôt autour d’une table pour décider ensemble de l’avenir commun de la Syrie… Et pour se donner une armée républicaine qui soit celle de tous les Syriens !

La communauté internationale a un rôle de soutien par rapport à un sursaut des peuples de la région qui constitue en réalité la réponse la plus décisive au jihadisme.

Il lui appartient de ne pas se laisser trahir par sa supériorité technologique pour empêcher que s’accomplisse un tel processus salutaire… Bush, au nom de l’Amérique, l’a fait en son temps et c’était la manifestation désastreuse d’un manque d’intelligence stratégique. Faut-il répéter son erreur ? Le monde ne le croit pas. Et c’est pourquoi il fait preuve de retenue. C’est pourquoi il tient à ce que, le jour où il s’agira de porter le coup de grâce à la puissance de Daech, ce soit la nouvelle armée syrienne qui le fasse et qui en porte le triomphe et la gloire.

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