C'est la liberté qui donne la soif de liberté. Sa privation, elle, crée au contraire, avec le temps, un état de renoncement, de sommeil du désir de liberté.
Le désir est dirigé vers des objets de substitution, qui font d'autant mieux oublier la liberté qu'ils donnent lieu à une lutte, à une foire d'empoigne entre les hommes. Et le tyran est celui qui sait tirer parti de cet état d'oubli et d'éclipse du désir de liberté pour asseoir son pouvoir dans la durée.
C'est ce qui explique que, lorsqu'un peuple a connu longtemps des formes d'existence caractérisées par une soumission à un homme fort, la possibilité de retrouver la liberté crée une situation qui est plus de crise et d'embarras que de joie. Car le désir est mort. Et sans désir, la liberté n'est qu'anarchie.
Que faire, dans ce cas ? Il faut ressusciter le désir ! Mais comment, puisque c'est par la liberté elle-même, par sa pratique au quotidien, que reprend vie ce désir ?
Il y a un cercle vicieux dont il s'agit de sortir.
Pas de liberté sans désir de liberté et pas de désir de liberté sans liberté vécue. Y a-t-il un dénouement ? Oui, il existe. Mais il passe par le jeu. Le jeu est la clé thérapeutique à cet état de dégradation spirituelle de notre existence. Le jeu, ça veut dire que nous devons mimer la liberté. Comme sur une scène de théâtre. Jusqu'à ce que le corps se dégage de l'ankylose, et que les muscles qui le portent vers les grands espaces se remettent à l'ouvrage.
La technique ressemble à celle des kinésithérapeutes : faire bouger des membres apathiques jusqu'à réveiller le plaisir du mouvement qui sommeille en eux. Le plaisir du mouvement, et donc le désir aussi de le poursuivre.
Si le dénouement passe par le jeu, ça veut dire que les jeunes ont un rôle essentiel pour nous sortir d'affaire. Parce qu'il y a chez eux une capacité au jeu qui est plus grande.
A nous, les aînés, de les diriger de nos remarques critiques, si on voit que la pièce perd de ses élans, ou que l'audace n'est plus ce qui la commande. Mais aussi de nos encouragements chaque fois que le jeu remue en nous des choses qui ressemblent fort à un désir de liberté.