L'action menée le 7 octobre dernier par le Hamas a été qualifiée de terroriste par Israël dans un but précis : légitimer l'opération envisagée de destruction de masse de Gaza. Et les capitales occidentales, à quelques exceptions près, ont adopté cette qualification et l'ont défendue bec et ongle parce qu'elles savaient qu'elles auraient à soutenir Israël dans cette action de destruction totale dont les humains ne seraient pas épargnés. Noyer la résistance palestinienne dans le terrorisme de Hamas, c'est rendre licite la réponse par les grands moyens : ceux-là même que réprouvent et le droit international et la morale.
De l'autre côté, le nôtre, on a applaudi l'acte de bravoure qui remet en cause la posture dominatrice et arrogante des Israéliens, qui ébranle l'ordre colonial qui se croit invulnérable. L'aspect qui a servi à nourrir la qualification de l'opération de "terroriste" a été minimisé : imputé d'une part aux mensonges et manipulations de la propagande israélienne et, d'autre part, mis au compte du caractère foncièrement brutal de toute action de résistance. Comme dit le dicton : on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs.
Autour de cette différence de lecture s'est creusé un fossé que les événements ultérieurs ont aggravé, mais que l'intelligence refuse. Que faut-il penser, en définitive ? Y a-t-il un terrorisme qui aurait été noyé dans la résistance, de la même manière que la propagande israélo-occidentale a noyé la résistance dans le terrorisme ?
Ma réponse est qu'il est impossible de se prononcer avec certitude. La terreur fait partie de la guerre, dans sa dimension psychologique en tout cas. Et une armée aux moyens modestes est d'autant plus tentée d'user de toutes les armes possibles, y compris de celles que proscrit le droit dans le cas de guerres "symétriques". Ce qui fait la vraie différence, c'est le mépris de la vie : c'est le droit que l'on se donne d'ôter froidement la vie de l'autre, c'est cette hybris par laquelle on combat l'autre en le raturant en son être. Mais, sur ce plan, Israël ne devrait pas échapper aux soupçons. Ce terrorisme-là est chez lui une pathologie de longue date, héritée des pogroms et des camps de la mort.
Il est vrai que faire subir à l'autre ce qu'on a soi-même subi est une conduite couramment observée. Qu'elle soit confortée par ceux-là même qui ont été à son origine - j'entends les Européens en général et les Allemands en particulier - est une autre affaire qui mériterait un débat à part.
Cela étant dit, et même si Israël est sans doute le pays le moins bien placé pour accuser autrui de terrorisme, et encore moins des populations qu'il opprime et à qui il ne laisse guère d'autre possibilité que de mettre de la rage et de la haine dans ses actes d'insurrection, il n'en reste pas moins que l'on se doit de se poser la question : l'action du 7 octobre abrite-t-elle en son sein une pensée qui fait sienne le mépris de la vie ? Est-elle, au moment même où elle invoque le Créateur et sa grandeur, une pensée qui crache sur sa créature ?
Se poser cette question n'est pas se désolidariser de la lutte : c'est faire acte de vigilance et, contre une certaine ivresse et ses aveuglements, retrouver le sens des choses par-delà les fossés des conceptions existantes et par-delà la confusion que certains mots induisent dans les esprits.