"Dans la tempête, une petite embarcation doit se laisser porter par les courants, mais sans perdre la mémoire de son cap. Souvent le capitaine, soit pour cacher sa faiblesse à la manœuvre face à la puissance des éléments, soit pour convaincre de la nécessité d'un changement de direction auquel l'équipage est peu disposé, utilisera la ruse de l'eldorado.
C'est une technique utilisée couramment par ceux qui gouvernent les petites embarcations quand ils veulent obtenir l'obéissance active des petits matelots pour virer de bord de façon importante sans entrer dans le détail des contraintes subies.
Mais c'est une technique qui a son prix. Surtout s'il arrive que les courants s'inversent. Et qu'il faut alors expliquer que l'eldorado qui a nourri tant d'espoirs et d'ambitions doit être abandonné, et qu'un autre doit prendre sa place.
Dans l'histoire d'une petite embarcation, qui se perd parfois dans la nuit des temps, il y a ainsi des moments où l'on s'assigne un nouveau cap pour éviter à l'embarcation des courants qui risqueraient de la transformer en épave si elle cherchait à les contrarier.
Mais il arrive que les perturbations en mer soient telles que l'on ne sache plus où est le cap et si on en a. D'eldorado perdu en eldorado perdu, il ne reste plus que l'agitation intérieure de l'inquiétude, qui s'ajoute à l'agitation extérieure de la tempête.
C'est un grand malheur... mais qui a l'avantage de pousser tout l'équipage à faire mémoire de son cap : le vrai, celui qui a nourri les rêves des tout premiers occupants du frêle esquif et qui n'a cessé de se préciser sous les coups du destin comme la statue jaillit sous les coups du sculpteur.
Voilà pourquoi les jours de tempête sont des jours qu'il faut savoir accueillir avec bonté."