On retiendra de ce deuxième mandat de l’administration Obama qu’il aura imprimé à la diplomatie américaine un profil pour le moins inédit. On sait que jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont défendu le principe d’une certaine neutralité dans le droit fil de la fameuse «doctrine Monroe». Ensuite, et à partir du moment où ils ont basculé dans la guerre contre les «forces de l’Axe», avec à leur tête le Japon et l’Allemagne nazie, ils ont inauguré une période belliqueuse qui a connu ses moments forts au Vietnam dans les années 60, mais surtout en Afghanistan et en Irak au début de ce siècle, après les attentats contre les tours jumelles de New York... On sait aussi que l’arrivée d’Obama s’inscrivait clairement, quant à elle, dans une logique de désengagement militaire, qui se situe à l’opposé de celle de son prédécesseur.
Ce qui explique en grande partie la mollesse avec laquelle l’Amérique a combattu jusqu’ici un ennemi comme Daech.
Mais ce qui retient surtout l’attention ces derniers temps, c’est la relation des Etats-Unis avec la Russie. Ce dernier pays est aujourd’hui présent en Syrie par son aviation qui attaque des éléments armés hostiles au régime syrien, dont certains sont des «rebelles» soutenus par les Américains. Ce même pays a annexé la Crimée au début de l’année dernière contre la volonté des Etats-Unis et de ses alliés et il soutient également des mouvements séparatistes en Ukraine. Autant de choses qui lui ont d’ailleurs valu des mesures de rétorsion à caractère essentiellement économique... Mais rien d’autre.
Intervenant dans le prolongement de ce coup de force, abondamment condamné du haut des tribunes et dans les médias occidentaux, l’intervention en Syrie aurait dû provoquer une formidable crispation diplomatique, avec toutes sortes de mesures militaires d’accompagnement... Un peu à l’image de ce que nos aînés ont connu avec la crise des missiles à Cuba. Or que voyons-nous? Une réunion, le 23 octobre dernier, à Vienne entre les deux ministres des Affaires étrangères, John Kerry et Serguei Lavrov, en compagnie de leurs homologues saoudien et turc. Sont-ils en train de se livrer à une guerre verbale pour compenser au moins le «silence des bottes» ? Même pas ! Ce beau monde discute calmement et aujourd’hui même, jeudi, une nouvelle réunion devrait avoir lieu à laquelle sont conviés le Liban, l’Egypte et... l’Iran ! Oui, car à côté de la rencontre atypique, en ces circonstances en tout cas, entre les Etats-Unis et la Russie, il faut compter celle, non moins atypique, entre les deux ennemis d’hier, l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Il faut pourtant savoir que cette posture inhabituelle de l’Oncle Sam ne fait pas que des heureux, surtout en Amérique même. Les nostalgiques de l’époque où les Etats-Unis jouaient leur rôle de gendarme en foulant aux pieds tous ceux qui avaient le malheur de se trouver sur leur chemin, ces gens-là commencent à trouver la situation vraiment insupportable. Quelle humiliation ! Même au Sénat, l’agacement est de plus en plus visible. Mardi dernier, John Kerry était convoqué par la commission des affaires extérieures pour s’expliquer. En particulier sur la question des bombardements russes contre les positions de rebelles comme ceux de l’Armée syrienne libre, qui bénéficient du soutien américain. Et tout porte à croire que, dans un contexte préélectoral, une opération de véritable mise au pilori de la diplomatie américaine actuelle va être engagée par les Républicains.
Déjà, le 13 octobre dernier, le sénateur John Mc Cain s’était exprimé sur la chaîne CNN à travers une diatribe contre l’administration Obama : «L’intervention militaire russe pour le compte du président Bachar El-Assad est la dernière tournure désastreuse au Moyen-Orient sous l’administration Obama, et un revers humiliant pour les Etats-Unis», a-t-il déclaré aux journalistes.
Question qui brûle les lèvres de bien des analystes : les Etats-Unis éliront un nouveau président dans un an. Le 8 novembre 2016, plus exactement. Comment le monde va-t-il pouvoir éviter l’arrivée de nouveaux va-t-en guerre à la tête de la première puissance mondiale si «l’administration Obama» continue de pratiquer une diplomatie qui irrite les Américains ? Peut-on attendre que, d’ici cette date, cette diplomatie offre des arguments nouveaux pour que, quel que soit le camp du vainqueur, le retour aux anciennes méthodes musclées de triste mémoire ne soit plus de mise ?
Il faut en tout cas imaginer le désastre que représenterait une nouvelle guerre froide, dont le terrorisme serait le premier bénéficiaire... Le monstre de Daech n’est-il pas, en quelque sorte, l’enfant de ce bras de fer engagé en Syrie entre les deux puissances, l’américaine et la russe !