On peut vaincre l’ennemi extérieur par la voie des armes : on n’aura pas gagné la guerre. En revanche, maîtriser le monstre intérieur confère une immunité durable. Et c’est le combat contre ce monstre qui n’est pas seulement un combat de la civilisation contre la barbarie, qui est aussi un combat de conquête de la civilisation, à mener au sein de la société et en chacun de nous.
Il y a plusieurs années que nous glissons lentement dans ce qui est en réalité la troisième guerre mondiale : une guerre non conventionnelle, non déclarée, mais une guerre totale et sans frontières. Cette guerre n’est pas seulement celle du «monde civilisé» contre le camp des «terroristes» : elle est avant tout celle de la civilisation contre la barbarie. Ou plutôt : le combat de l’humanité pour conquérir sa civilisation face aux tentations de la barbarie. Ce qui signifie que, sur le terrain des armes, il y a ceux qui ciblent indistinctement, voire préférablement, les civils sans défense, attablés à la terrasse d’un café, enfermés dans une salle de spectacle, ou paissant tranquillement leurs moutons dans les montagnes de nos contrées, pour instaurer la domination d’une culture et d’une croyance particulières, et il y a ceux qui visent des points stratégiques en vue de neutraliser une menace, afin de permettre que l’humanité vive et jouisse en paix de sa diversité…
Ceux qui cherchent à provoquer le plus de pertes en vies humaines comme moyens de parvenir à leurs fins et ceux qui, sans reculer devant les conséquences de la guerre, cherchent à atteindre leurs cibles en évitant, dans la mesure du possible, les pertes en vies humaines et en veillant à ce que les habitants puissent à nouveau prendre un jour leur destin en main…
Les pays engagés dans cette guerre, dont nous faisons partie, doivent savoir qu’ils peuvent être amenés à payer un lourd tribut à tout instant. Celui que la France vient de payer est des plus lourds. Et, singularité de cette troisième guerre mondiale, le front est à la fois au dehors et au-dedans. Au dehors, c’est l’Etat islamique, qui a d’ailleurs revendiqué l’action terroriste de grande envergure qui vient d’être perpétrée à Paris. En un sens, cet ennemi n’est pas le plus redoutable, malgré sa capacité surprenante de résistance et d’organisation.
On voit d’ailleurs que, à la faveur d’une coalition internationale élargie, il ne cesse en ce moment de perdre du terrain. C’était le cas récemment dans la ville irakienne et très stratégique de Sinjar... Et, au dedans, c’est à la fois cette jeunesse mal intégrée, marginalisée — réduite chez nous à la misère et au désœuvrement — tentée de basculer dans la haine ou l’ayant déjà fait et, d’un autre côté, cette xénophobie aux multiples visages, cette illusion qui consiste à croire que la solution du problème est d’exclure, de rejeter à la mer ces jeunes d’une culture différente. Voilà le monstre à deux têtes, en quelque sorte, dont l’une nourrit l’autre pour créer au cœur du territoire l’espace d’une alliance potentielle avec l’ennemi de l’extérieur.
On peut vaincre l’ennemi extérieur par la voie des armes : on n’aura pas gagné la guerre. En revanche, maîtriser le monstre intérieur confère une immunité durable. Et c’est le combat contre ce monstre qui n’est pas seulement un combat de la civilisation contre la barbarie, qui est aussi un combat de conquête de la civilisation, à mener au sein de la société et en chacun de nous, y compris à travers un effort de convivialité et de partage plus large.
Parce que la France est un pays qui a enrichi sa diversité en accueillant sur son sol des populations venues d’horizons multiples, elle se trouve visiblement confrontée à des difficultés particulières pour créer en son sein les conditions de la cohésion et de ce qui figure au fronton de ses institutions : la fraternité. C’est dans cette faille, dans cette défaillance, que germent et se développent les aliments qui nourrissent le monstre.
La Tunisie n’a pas un tel capital de diversité à gérer, à transformer en acceptation réciproque et en plaisir de vivre ensemble. Pour autant, elle n’est pas en dehors du problème.
D’autant qu’elle a fait depuis une longue date le choix salutaire d’être une société ouverte sur le monde, contre ceux qui voulaient la ramener à la rigidité d’un modèle culturel monolithique et rétrograde. Il nous appartient donc, loin de tout esprit de donneur de leçon, particulièrement malvenu en pareille circonstance, de faire preuve de solidarité : nous sommes logés à la même enseigne, tenus d’apprendre les uns des autres, de nos réussites comme de nos échecs, dans ce combat qui nous honore, si élevé qu’en soit le prix du sang, dont nous ne sommes pas exemptés.