Oui, il y a une ingéniosité de la bêtise.

Trouvé ceci dans le texte d'une conférence de Milan Kundera, dont il fait l'ultime partie de son livre L'art du roman : "la bêtise ne s'efface pas devant la science, la technique, le progrès, la modernité, au contraire, avec le progrès, elle progresse elle aussi !" Pour l'auteur de ces propos, le roman est le lieu par excellence à partir duquel est mené le combat contre ce nouveau mal qu'est la bêtise. Et plus particulièrement contre le "kitsch", qui est "la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l'émotion".

Dans sa banalité, cette phrase attire notre attention sur un des plus graves dangers guettant l'humanité. On croit en effet que la modernité finira par avoir raison de l'ignorance et de la crédulité des hommes pour laisser place, le moment venu, à un esprit éclairé, capable de constituer un interlocuteur valable en vue de la construction commune d'un monde meilleur. Or on se trompe. C'est un faux calcul. Avec la modernité, croît aussi la bêtise. Avec la modernité, la bêtise mue. Elle est comme ces mauvaises herbes qui développent des "résistances" face aux traitements censés les éliminer…

Bref, le risque est le suivant, à savoir que la modernité ne tue pas la bêtise : qu'elle la rende au contraire plus forte, plus sourde à l'appel de l'intelligence, plus ingénieuse même à se soustraire à son écho... Car, oui, il y a une ingéniosité de la bêtise.

Milan Kundera, par ailleurs, n'ignore pas que le roman, qui est l'outil par lequel l'homme mène son combat contre la bêtise, subit lui-même les assauts de cette dernière. C'est le cas à chaque fois que le "kitsch" prend le dessus dans l'écriture. Et Dieu sait combien ce cas est fréquent.

Ce qui signifie, en somme, que dans ce combat à mener, le roman doit aussi, et sans doute avant tout, lutter contre le spectre de ses propres dérives, contre ses singeries dont la loi est d'obéir à "la nécessité impérative de plaire et de gagner ainsi l'attention du plus grand nombre".

Il est important de prendre acte de cette vocation moderne du roman et du romancier. Même si l'on doit également prévenir contre un autre danger : que le romancier cède à la tentation de l'autoglorification à travers une vision de soi comme sauveur de l'humanité contre la bêtise... Ce serait en effet une victoire de cette dernière... Ce serait une victoire de son ingéniosité : de sa capacité non seulement à résister, mais aussi à s'insinuer et à coloniser cela même qui est censé la combattre.

L'humilité, l'ironie et l'humour forment une place imprenable. A condition bien sûr de ne pas se transformer eux-mêmes en un sujet de jactance.

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