Beaucoup de nos concitoyens s'indignent de la lecture faite par les médias étrangers des événements qui ont marqué notre actualité des derniers jours. Ce qui donne lieu parfois à des manifestations de patriotisme un peu douteux, du type de celles où on communie dans l'imprécation et la détestation... Mais bon. Il faut comprendre que les angles de vue diffèrent et que notre approche n'est pas la même.
Ce qu'ils voient, ce sont des données factuelles qui, habituellement en tout cas, constituent des motifs d'alerte majeure. Ce que nous voyons, c'est un contexte et c'est un profil psychologique, qui est celui de la personne par qui le bouleversement est intervenu. L'opinion, qui est apparemment largement acquise aux décisions du 25 juillet dernier, s'appuie sur une "certitude subjective" selon laquelle le personnage du président agit au service du pays et du peuple. Et force est de constater que, jusqu'à présent, rien n'est venu fausser sérieusement cette opinion…
La manière dont le président a malmené le texte de la Constitution par l'interprétation qu'il a faite de son article 80 relève presque d'une sorte de mise au point brutale, et attendue comme telle, à l'égard d'une instance juridique dont la sacralité n'a pas su protéger le peuple ni contre la misère, ni contre la perte de la dignité, ni contre la perpétuation d'une domination mafieuse sur l'économie du pays.
Mais ce qui est problématique dans les critiques adressées aux médias étrangers, c'est qu'elles portent un message implicite adressé celui-ci à nos concitoyens, qui revient en quelque sorte à culpabiliser toute attitude de méfiance. On revient à cette forme de violence politique dont l'attaque des journalistes étrangers n'est qu'une expression parmi d'autres et qui est peut-être le véritable danger qui guette l'actuel processus.
La vigilance à laquelle on appelle d'ordinaire se focalise sur la question de la rupture avec l'ordre constitutionnel, en exigeant par exemple une "feuille de route" qui rassurerait sur la façon dont on le retrouverait au terme des mesures exceptionnelles qui ont été annoncées.
Elle ne s'attarde pas trop sur la tournure mauvaise que prend parfois la campagne de soutien qu'improvisent les partisans fervents du processus : ces chasses à l'homme qui sont esquissées par-ci, par-là, en attendant quelque signal pour se transformer peut-être en des opérations de lynchage…
Même si on acquerrait la conviction que le président Kaïs Saied n'est pas un dictateur en devenir et qu'il n'a aucune intention qui aille dans ce sens, il resterait à observer avec inquiétude ce phénomène "chimique" qui menace de faire surgir des pulsions dangereuses dans la population et qui, s'il en venait à atteindre un jour certaines proportions, pourrait faire prendre aux événements un tournant tout à fait néfaste…
Tellement néfaste qu'une dictature deviendrait un recours contre sa propagation !