Il est clair que le pourrissement de la situation politique chez nous vient à la fois d'une faiblesse dans la conception de l'organisation du pouvoir en général et de la distribution des prérogatives entre les deux têtes de l'exécutif en particulier et, d'un autre côté, de la guerre de positions à laquelle les intéressés se livrent de façon de plus en plus débridée et de plus en plus inconvenante dans l'actuel contexte sanitaire.
Il n'y a pas de doute qu'Ennahdha porte une large part de responsabilité dans cette situation. Depuis un moment, elle défend ses positions en tant que parti gagnant aux élections et ce sont ses initiatives qui ont créé le climat de tension avec le président de la République.
Dans des conditions normales de l'exercice de l'activité politique, cette conduite vaudrait à son auteur un désaveu cinglant de la part de tous, y compris des sympathisants du parti. Mais, pour des raisons qui tiennent probablement à son profil idéologique, il n'est pas sûr qu'Ennahdha paiera le juste prix de ses agissements.
C'est sans doute ce qui explique que, du côté de l'opposition, on ait fait de l'acharnement contre ce parti une option privilégiée : option dont on se demande toutefois si elle ne relève pas d'une logique de la réaction, voire du ressentiment. Ennahdha bénéficie d'une sorte "d'immunité théologique" qui la met à l'abri de toute sévérité de sa base électorale, mais qui provoque chez ses adversaires un mouvement inverse, qui est de l'accabler.
Ce qui n'est pas forcément le meilleur moyen d'augmenter ses chances de la vaincre lors des prochaines élections... D'où, peut-être, des tentations désespérées qui évoquent les solutions du passé.
Or, ce qui est surprenant, c'est que notre président, parvenu au pouvoir en défendant la révolution et ses martyrs, multiplie aujourd'hui les gestes et les propos qui sont de nature à donner des espoirs à ceux qui ne rêvent justement que de retour en arrière. Ou en tout cas des bonnes vieilles méthodes du passé en matière de traitement des adversaires politiques...
On attendrait de lui le coup de pouce qui permettrait au combat politique de prendre une tournure plus saine. De la place éminente qu'il occupe, il peut apostropher les uns et les autres et prendre à témoin le peuple, non pour prendre part à la bataille et nous entraîner avec lui dans la mêlée, mais pour rappeler la voie qui peut servir d'issue et pour dénoncer ce qui entrave la marche nécessaire.
Mais, à la place, il ne se contente pas de se laisser entraîner dans le jeu des provocations au point d'en perdre son sang-froid : il ne cesse d'envoyer des signaux qui nous font douter du sérieux de ses engagements au service du choix démocratique du pays.
Mais on nous dit qu'il faut s'abstenir d'émettre la moindre remarque critique, sous peine de faire le jeu d'Ennahdha. Joli programme : si Ennahdha dit "blanc", la seule bonne réponse est de dire "noir"… Même si, comme dit l'autre, "noir, c'est noir…"