On traverse une forêt inconnue, peuplée d’ombres incertaines. Il y a des périls. Certains ont l’air d’être de simples épouvantails, plantés là par malice : ils font plus de peur que de mal. D’autres sont de vrais fauves, qui vous sautent à la gorge, et vous êtes seuls au monde… Alors on se demande où cela va nous mener.
Si notre quiétude habituelle, quand nous vaquons à nos affaires quotidiennes, n’est pas l’expression d’une inconscience. A l’image de ces habitants du Pacifique, près des côtes, qui se saluent, plaisantent et se congratulent au coin des rues, alors que la vague formidable, dans l’océan, arrive sur eux, en silence. Qui sait ? Y a-t-il quelque chose désormais que l’on sache de façon sûre ?
Mon avis est que l’histoire du pays a été livrée à un mauvais génie, dont nous ne savons pas s’il en est le maître définitif ou si quelqu’un existe au-dessus de lui qui est capable de la lui reprendre, comme on reprend à un enfant un jouet avec lequel il fait des bêtises.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Et pourquoi cette Constitution que nous nous sommes donnés en 2014 et en quoi on croyait s’être dotés d’un socle solide face aux imprévus et aux tentations hégémoniques se révèle-t-elle si lamentablement inefficace ? Que reste-t-il d’elle ? Elle a été foulée aux pieds, au vu et au su de tous, sans que personne ne puisse lui venir en secours.
Celui qui a accompli le forfait mérite certainement nos imprécations. Il a su jouer de quelques circonstances favorables, d’une réputation acquise d’ennemi des puissants et d’ami de la veuve et de l’orphelin, d’un profil de professeur de droit tatillon aussi, pour se frayer son chemin au cœur du pouvoir et, de là, opérer son coup de maître qui nous a fait passer du rôle d’acteurs de l’histoire au rôle de spectateurs ébahis et impuissants… On peut le vouer aux gémonies si on veut – au risque de s’attirer les flèches de son étrange armée de partisans -, mais on doit lui reconnaitre de la ruse et de la sagacité. L’effraction est parfaite.
Aujourd’hui, nous sommes peut-être, et sans doute même, dans une situation très peu enviable, à la merci des événements : sans gouvernement, sans Parlement, sans institutions qui fonctionnent selon leurs propres normes. Le pire peut survenir sans qu’on sache comment y répondre. Mais il y a quelque chose que l’on sait, qui est notre cogito du moment, notre roc en ce jour de doute sur tout : c’est que cette constitution dont nous voulons le rétablissement est une constitution qui n’a pas les attributs de sa propre préservation.
C’est une constitution qui comporte des failles permettant de la démolir de l’intérieur. Or cela, cette certitude acquise, c’est notre président élu, devenu entre-temps artisan du coup, qui nous en fait cadeau. Qui, avant le 25 juillet, savait de façon claire que la Constitution de 2014 était une Constitution immuno-déficiente, une Constitution qui, au-delà de ses faiblesses et de ses incohérences sur tel ou tel sujet, avait le défaut majeur de pouvoir se laisser soumettre à la volonté d’un homme, simplement parce qu’il était en mesure d’endormir notre méfiance ?
Se tirer d’affaire, dans la vie, commence toujours par la résolution de ne plus se laisser prendre au piège dans lequel on est tombé… Nous aurons besoin d’une nouvelle Constitution !