En gros, la différence entre dictature et fascisme, c'est que ce dernier s'appuie sur et entretient le ressentiment populaire pour opérer un renversement de l'ordre politique qui consacre les libertés individuelles : il lui substitue la prééminence absolue du chef.
Dans les faits, dictature et fascisme peuvent se confondre. Mais on peut concevoir des formes de dictature qui préparent les conditions d'un affranchissement des individus, d'un "désendoctrinement" par la culture et l'ouverture sur le vaste monde...
Chez nous, l'expérience de la dictature a été vécue dans la période qui suit l'indépendance. On a parlé de dictature éclairée à propos du gouvernement bourguibien. Personne ne peut sérieusement nier le caractère "éclairé" de ce type de gouvernement, y compris dans la période qui précède la révolution. Mais personne ne peut nier non plus que ce caractère tend avec le temps à devenir un simple alibi pour légitimer l'autocratie. Et alors l'élément fasciste s'insinue dans le mode d'exercice du pouvoir. La haine du "traitre" prend le pas sur l'enthousiasme autour de l'idéal d'émancipation…
Aujourd'hui, on voit bien que le peuple se prête à la pente fasciste. Il n'est pas immunisé, malgré les déceptions. Mais, contrairement à ce qu'on a pu observer en Europe au début du siècle dernier, sa réponse est faible et disparate. C'est sans doute la bonne nouvelle dont il nous faut nous réjouir, même si rien ne nous interdit de déplorer en même temps la tendance au consentement passif dont fait preuve un large pan de la population.
Ce qui autorise à se réjouir, c'est que l'aventure fasciste est sans ressort pour accomplir sa révolution : sa révolution de la perversion ou sa perversion de la révolution... Ce qui signifie qu'elle est condamnée à l'essoufflement à brève échéance. Et que le temps d'un retour à une pratique plus sage et plus prudente de la démocratie revient vers nous, inéluctablement.