La justice a rendu son verdict dans l'affaire de l'assassinat de Chokri Belaïd. Onze ans après les faits. Fallait-il tout ce temps ? Alors que cet assassinat a empoisonné et empoisonne encore la vie politique en Tunisie ?
Les accusés dans ce dossier étaient au nombre de 24. Ce qui n'est pas peu. Mais dans le camp du comité de défense de Chokri Belaïd, on affirme qu'il s'agit de simples exécutants. Que les véritables responsables du crime, à savoir ses commanditaires, ne sont toujours pas encore jugés…
Que faut-il croire ? Qu'après 11 ans, et alors qu'Ennahdha qu'on accusait d'étouffer l'affaire a aujourd'hui les poings et les pieds liés, la justice ne s'est prononcée que sur du menu fretin, laissant courir les vrais responsables ? Si c'est le cas, pourquoi ne le dit-on pas clairement, en laissant faussement croire que l'affaire est close ?
Ne faut-il pas plutôt considérer que les accusations n'ont aucune raison de s'arrêter ? Qu'au contraire elles ont été trop loin pour pouvoir se rétracter, parce que le coût de la rétractation serait bien trop élevé pour leurs auteurs ?
Il est un fait indéniable que l'assassinat a eu lieu à un moment où Ennahdha était au pouvoir, et que cela ouvre un vaste champ aux supputations. Même si, côté Ennahdha, on souligne que, précisément parce qu'on était au pouvoir, on n'avait aucun intérêt à envisager une action pareille : que c'était une façon de se faire du tort grandement et inutilement. L'argument n'a semble-t-il pas emporté l'adhésion de l'opinion face au scénario d'un assassinat fomenté et téléguidé en haut lieu à la faveur de "chambres obscures".
Quoi qu'il en soit, si un autre dossier concernant l'affaire en question est en attente, le mieux serait de laisser la justice en juger et de ne pas laisser courir librement des accusations. Si on le fait, on montre qu'on n'a pas de scrupule à exploiter la mort d'un homme à des fins politiques. Que derrière les cris qui réclament justice, il y a une grande part de cynisme.
La justice tunisienne a bien des raisons de nous faire douter de son indépendance et de sa souveraineté. Donc du bien-fondé des jugements qu'elle rend. Seulement, en l'occurrence, cela aurait dû la pousser à aller dans le sens des accusations qui mettent en cause Ennahdha. Or, elle ne l'a pas fait.
Est-ce que ça n'est pas une indication, enfin, qu'en ce pays dont la démocratie va mal, il faut apprendre à combattre ses adversaires politiques par la force des arguments et non par une volonté de liquidation qui cherche à se mettre à disposition l'appareil de la justice ?
Aimez vos ennemis. Grâce à eux, vous pouvez décocher vos flèches. C'est ce qu'enseignait le Zarathoustra de Nietzsche, et c'est ce qu'attend de nous une vie politique civilisée.