Nous nous acheminons doucement vers le deuxième tour de l'élection présidentielle. Mais plus nous approchons du jour fatidique, plus la question se fait nette et insistante dans nos têtes : s'agit-il véritablement d'une "élection" ?
On sait qu'un des deux candidats est en prison. Sa campagne se poursuit pour lui, mais sans lui. Il ne peut, comme son partenaire ou rival, donné des interviews ici ou là pour présenter ses idées avec ses mots à lui et pour répondre aux interrogations diverses que son projet suscite.
Et, surtout, il ne peut s'expliquer les yeux dans les yeux sur les soupçons qui pèsent sur sa probité et qui sont de nature à rendre sa candidature, sinon juridiquement, du moins moralement irrecevable…
Il faut bien saisir cet élément essentiel de l'élection qui se présente à nous : dans l'état actuel des choses et avec un candidat qui ne peut s'expliquer sur les soupçons qui pèsent sur lui, nous n'avons pas deux candidats, mais un seul. Et on ne fait pas une élection avec un seul candidat (à moins de revenir aux temps prédémocratiques) !
Maintenir le candidat emprisonné dans son rôle de candidat, c'est demander au citoyen tunisien de faire ce que le juge a à faire et qu'il n'a pas fait : condamner ou absoudre. Ou alors prendre la place du législateur et décider que les faits reprochés sont bénins, ou excusables étant données telles ou telles considérations, alors qu'il n'y a pas lieu de les considérer comme tels.
Nous sommes livrés à toutes sortes de contorsions pour sauver cette élection de son absurdité et nous nous demandons si tout cela a un sens. Et, finalement, s'il est judicieux d'y prendre part.
Nous aimerions entendre le président de la République sur ce sujet. Son statut d'intérimaire n'enlève rien ni à ses prérogatives ni à ses obligations en matière de défense du peuple contre les situations qui portent atteinte à ses droits fondamentaux.
Et la situation que nous vivons, par-delà même le grand embarras et l'agitation dans laquelle elle nous plonge, pose un problème de principe, dès lors que nous sommes face à une élection qui n'en est pas vraiment une, qu'il nous est demandé de choisir alors que les conditions du choix ne sont pas réunies…
Ou nous faut-il expérimenter cette forme boiteuse d'élection ? Un tel précédent, sachons-le, ne sera pas sans conséquence sur la suite : nous jouons la bonne santé de notre démocratie…