Et maintenant... Que faire maintenant ? Maintenant que le monde a pris le relais des luttes pour abattre l'ignominie des dictatures et mettre fin à leurs systèmes occultes ? Contempler en savourant le spectacle d'un vaste effondrement ? Se consumer d'inquiétude au sujet des lendemains ? Se retirer pour cultiver tranquillement son jardin ?
Les intelligentsias arabes sont en pleine déconfiture aujourd'hui : sonnées par ce qui arrive. Dans l'ensemble, elles n'ont fait que subir. Parce qu'elles se sont coupées des forces agissantes qui, elles, œuvraient secrètement en jouant des grands courants de l'Histoire comme on surfe sur une vague.
Beaucoup de nos intellectuels se sont prêtés au rôle, sinon de faire-valoir de la dictature, du moins de paravent pour dissimuler son indigence et sa laideur. Ils se sont installés confortablement dans cette fonction, à laquelle ils ont trouvé des attraits.
Ils se sont accommodés de l'axiome- valorisant pour leur personne- selon lequel les jeunes issus du peuple ne pouvaient être qu'un problème, en aucun cas une solution ou un partenaire possible dans la recherche d'une solution.
C'est tout cela qui explique que notre intelligentsia soit défaite aujourd'hui. Et qu'elle consacre les forces qui lui restent en imprécations et en mauvaises prophéties.
Il y a pourtant un avenir nouveau qui attend l'intellectuel tunisien : une place à conquérir dans la société en dehors de toute allégeance à telle cause, à telle faction.
L'Histoire dans laquelle nous sommes engagés avec d'autres n'est pas décidée dans son cours par des "puissants de ce monde" : elle émerge et propose ses chemins à mesure que l'homme discerne en elle des issues salutaires.
Mais ce travail de discernement n'est jamais aussi déterminant que lorsqu'il exprime le combat de lectures diverses, que lorsqu'il surgit du choc des interprétations.
Comme les monades leibniziennes, chacun incarne un point de vue irremplaçable sur le monde et sur ses possibilités de devenir. De là où nous sommes, du haut de nos "trois mille ans d'histoire", n'aurions-nous rien à dire ? Bien sûr que si : tant de choses à dire !