Je ne suis pas un grand admirateur de Yassine Ayari. Je n’ai jamais compris son acharnement – intempestif – contre un gouvernement qui était sans doute l’un des meilleurs qu’on ait eus depuis la révolution, voire le meilleur, et qui était en même temps un gouvernement de sortie de crise, sanitaire en premier lieu. Mais je reconnais dans le même temps que Yassine Ayari n’a jamais utilisé des méthodes douteuses. Et qu’il portait un projet qui était à la fois de lutte contre la corruption et de dynamisation de la vie économique par la libération des énergies au sein de la population des jeunes…
Aujourd’hui, Yassine Ayari est en prison. Il y a été mis avant tout le monde contre qui on déclarait la guerre au nom de la lutte contre la corruption. Et personne n’est dupe : la raison véritable pour laquelle il se trouve en prison est qu’il dénonce violemment un coup d’Etat le 25 juillet dernier. La raison véritable, autrement dit, est que ce régime exceptionnel sous lequel on est gouvernés sans savoir jusqu’à quand et comment on va en sortir, ce régime craint la critique.
Il pratique la politique du fait accompli mais veut quand même notre soutien et se donne le droit de faire taire ceux dont il pense que leur voix le gêne. L’empressement d’une procédure confiée à l’institution militaire pour s’occuper de son cas est l’aveu qu’il ne s’agit pas de laisser la justice suivre son cours, comme le soutiennent les partisans du président en cachant mal leur mauvaise foi, mais de neutraliser. D’anéantir politiquement en asphyxiant physiquement.
Cette option, qui est par excellence celle des dictatures, pose des questions graves au sujet d’un projet politique qui prétend redonner au peuple le pouvoir qui lui revient mais qui, en la personne d’un des représentants de ce peuple – et on ne parle pas ici de son statut d’élu, de citoyen démocratiquement élu, librement choisi par d’autres citoyens pour les représenter – s'obstine à nier un droit fondamental : celui de parler et de donner son avis sur ce qui se passe dans le pays.
Aujourd’hui, et depuis avant-hier, Yassine Ayari est en grève de la faim. Il a décidé d’user de la seule arme qui lui reste face à un pouvoir qui a mis le droit au service de la force. Il a donc décidé de jouer son va-tout en poussant ceux qui l’ont privé de sa liberté à lui ôter la vie.
Pari risqué. Car plus un pouvoir se sent contesté, plus il est tenté de se montrer inflexible. Et ainsi de répondre au défi par le défi. Mais pari risqué pour tout le monde, parce que Yassine Ayari n’est pas de ceux qui reculent. Et s’il va jusqu’au bout, le prix politique sera élevé. Plus élevé que beaucoup ne croient.
En un mot, le défenseur du peuple endossera l’habit du bourreau ! Et, l’histoire des nations nous l’enseigne, un bourreau n’a jamais rien fait de grand…