Pas moins que son arrestation en son temps, la relaxe de Nabil Karoui a suscité des commentaires entendus sur le niveau d'indépendance de l'appareil judiciaire... Il est incontestable que tout cet épisode éminemment médiatique et haletant rendra incontournable, dans un avenir proche, la résolution du problème relatif aux liens illicites qui subsistent entre la sphère politique et la sphère judiciaire.
Il faudrait d'ailleurs se féliciter que le cas de cette immixtion - bien que présumée, seulement présumée - offre un exemple suffisamment flagrant pour alerter les esprits sur la réalité du problème. De nombreux cas relèvent d'une influence moins visible, à peine détectable parfois, et pour cette raison autrement plus pernicieuse. C'est donc un élément positif à relever en ce qui concerne cet épisode précis : une claire alerte est donnée.
Il y a un autre élément positif. Il réside dans le fait que les "irrégularités" en matière de procédure, qui ont généralement pour conséquences de porter atteinte aux droits de justiciables, ont eu cette fois l'heureux effet de rétablir en quelque sorte les conditions de l'équité entre deux candidats au second tour de la présidentielle.
Ou du moins de corriger dans une certaine mesure le déséquilibre criant dont bénéficiait Nabil Karoui : déséquilibre que la loi n'avait pas été en mesure de pénaliser à travers des voies normales. On veut parler bien sûr de l'utilisation de la double action humanitaire et médiatique à des fins électorales.
La relaxe en tant que telle, enfin, donne lieu à un troisième élément positif. Elle permet d'abord aux candidats de se présenter tous deux aux électeurs et, éventuellement, d'espérer une confrontation entre eux.
Mais elle rend surtout possible que le candidat libéré s'explique sur les accusations qui pèsent sur sa personne, et que la justice tunisienne n'est pas seule à dresser contre lui : en quoi sa candidature au poste de la présidence de la République est-elle moralement justifiée au vu de l'ensemble des soupçons existants, et dans quelle mesure cette ambition ne représente-t-elle pas un affront au peuple et à la fonction ?
Il est clair que toute rhétorique électoraliste qui voudrait s'attarder sur la promotion d'un programme et de ses promesses en passant sur ces questions préalables devrait être prise pour ce qu'elle est : une récidive dans l'affront.
En tout état de cause, la mise en liberté de Nabil Karoui offre la possibilité de sortir d'un doute, que son absence ne permettait pas de lever, en ce qui concerne sa compatibilité morale avec les exigences de la fonction qu'il ambitionne, mais aussi en ce qui concerne ses aptitudes politiques, dès lors que la présidence de la République est synonyme de défense de l'unité et de la dignité du peuple d'une part, de la Constitution et des lois du pays en général d'autre part.
Scénario inédit
Dans ce scénario inédit voulant que les candidats soient tenus au silence, c'est le peuple lui-même, dans la diversité de ses composantes, qui doit extraire de lui-même et par lui-même la réponse qu'il entend apporter à la question de son destin.
Si demain il choisit, contre les pronostics existants, le candidat qui incarne l'opportunisme au service de ses intérêts particuliers, dans une liberté prise à l'égard du respect de la loi et de la dignité d'autrui, ce sera son choix. Il ne pourra ensuite imputer à personne les conséquences qui s'en suivent, en désignant un complot étranger ou même une volonté souterraine de perpétuer chez lui un état de servitude et de turpitude qui relèverait de ses gènes.
Au contraire, le monde entier aura été témoin de son geste délibéré par lequel il aura repoussé la droiture et la justice pour lui préférer le coquin et le malin.
Dimanche, le peuple tunisien ne décidera pas seulement de son destin en mettant à la tête de l'Etat une figure qui représente tel type de pouvoir plutôt que tel autre : il décidera aussi et surtout du visage par lequel il veut se présenter au monde… L'audace au service de la justice - avec ses risques assumés.- ou le profil bas d'un peuple soucieux d'abord de son confort, auquel il est prêt à sacrifier sa dignité.