Il est plus que normal que l'arrestation de Nabil Karoui suscite l'indignation, au motif que la justice se laisserait manipuler chez nous par le politique, au gré des intérêts de ce dernier.
D'autant que ce problème d'indépendance de la justice a un passé ancien, intimement lié à la dictature : sa persistance soulève en effet des questions sur le caractère sérieux de la modernisation de nos institutions depuis le départ de Ben Ali. "Nous en sommes toujours là, avec les mêmes pratiques qui permettent d'éliminer les concurrents gênants en se jouant des procédures judiciaires ?", se demande le citoyen tunisien.
Toutefois, il y a une autre façon de voir les choses. L'individu arrêté est sous le coup d'accusations graves et, si l'on en croit les sondages, pourrait se retrouver demain au poste de président de la République.
La fonction lui permettrait de se mettre à l'abri des poursuites, alors même que des éléments probants l'accableraient. Sachant par ailleurs qu'en tant que candidat, il a lui-même agi au mépris des règles de l'équité en mettant à son propre service la machine médiatique dont il dispose, qu'il a également investi l'action humanitaire mais pour en détourner le sens et pour l'assujettir à ses intérêts politiques.
Il s'agit de se demander ce que notre justice tunisienne penserait d'elle-même et de sa contribution à notre devenir démocratique si, demain, on se réveillait avec un tel président à notre tête.
Qu'est-ce qui est préférable : qu'elle laisse faire en prétextant de sa neutralité et en ayant le souci de préserver son image ? Ou qu'elle agisse en s'appuyant sur ce dont elle dispose - qui n'est pas négligeable - pour nous sauver d'un désastre démocratique annoncé, au risque de se salir les mains ? A nous de voir !