Oui, il y avait peu de monde à l'enterrement de Hichem Djaït. Et, bien sûr, comme certains le font remarquer, c'est tout à fait désolant. Mais ce qui l'est aussi, c'est de croire que tout aurait été pour le mieux s'il y avait eu foule. Un intellectuel n'a pas de partisans. Il ne cherche à plaire à personne, si ce n'est à la vérité.
En un sens, le faible nombre de ceux qui l'ont accompagné au cimetière n'est qu'une preuve supplémentaire qu'on a véritablement affaire avec lui à une espèce particulière d'hommes : de ceux qui ne transigent pas pour glaner, par-ci par-là, de l'amitié et de la réputation. Parce que ce qui les occupe les met en position de ne jamais être en manque de cette denrée.
Mais il va de soi, en même temps, que cette modeste présence indique que l'intellectuel n'a guère de place dans notre société. Nous avons bien plus besoin d'idoles. De gens qui nous dispensent de penser, parce qu'ils nous donnent la possibilité de faire allégeance à un camp, de nous fondre dans la masse d'une communauté quelconque, de nous délester du poids de notre singularité…
Finalement, et contrairement à l'intellectuel, nous n'aimons pas la vérité. Nous sommes des "aléthophobes" : non seulement nous ne l'aimons pas, la vérité, mais nous la craignons.
L'intellectuel, nous ne nous contentons pas de lui refuser notre écoute : nous voudrions le faire taire. Et c'est exactement ce que nous faisons en fin de compte quand, en toute bonne conscience, nous étouffons sa voix sous le brouhaha de nos querelles quotidiennes…
Cela dit, il n'est pas certain que les rares personnes qui furent physiquement présentes à l'enterrement de cet homme aient été les seules à être à ses côtés en pensée. Ni, encore moins peut-être, les seules à vouloir se saisir du flambeau qu'il portait en main et dont le feu parmi nous lui donnera, si Dieu le veut, une seconde existence.