Les organisations jihadistes jouent leur va-tout en lançant leurs kamikazes aux quatre coins du monde… Après Beyrouth, Baghdad, le Caire, Paris et bien d’autres villes, nous avons, une fois de plus, subi chez nous la morsure sanglante et meurtrière de ce mal dont le but est de provoquer le maximum de souffrances et de morts parmi les habitants, tout en cherchant insidieusement à susciter entre eux des divisions.
En réalité, cette stratégie conduit surtout à souder les peuples du monde entier et à renforcer contre eux l’union de tous. Les instigateurs de ces opérations l’apprennent déjà à leurs dépens et des jours plus sombres encore les attendent.
Au risque de répéter une évidence, il faut souligner que ce qui arrive ici ou ailleurs, s’il provoque le choc, l’épouvante et l’indignation chez tout un chacun, ne doit pas provoquer l’étonnement : nous sommes en guerre. Ce qui, en revanche, doit provoquer l’étonnement et la perplexité, c’est le manque de prudence, c’est le «ronron» de certaines habitudes qui, avec beaucoup d’inconscience et de naïveté, facilitent le travail des terroristes… Passons ! L’heure est au deuil.
Sur la scène étrangère, nous assistons depuis quelque temps à une action diplomatique dont le but est d’amener la communauté internationale à serrer les rangs contre le jihadisme. Cela s’est traduit en particulier, et à l’initiative de la France, par une résolution du Conseil de sécurité, adoptée le 20 novembre dernier par la totalité de ses 15 membres, demandant, en particulier, aux Etats membres de «redoubler d’efforts et de coordonner leur action en vue de prévenir et de mettre un terme aux actes de terrorisme…»
Il faut être conscient qu’une pareille unanimité du conseil de sécurité est rare et que la cohésion de la communauté internationale demeure fragilisée par la divergence des intérêts et des politiques. C’est pourquoi l’incident survenu, mardi dernier, à la frontière entre la Syrie et la Turquie est à prendre au sérieux, de manière à ce qu’il ne provoque pas une fêlure qui, si on n’y prend pas garde, se transformerait en cassure… Que l’aviation turque abatte un avion militaire russe au motif qu’il aurait pénétré son espace aérien est un incident qui peut avoir des conséquences graves sur la cohésion de la coalition. Donc, sur la guerre menée contre les jihadistes implantés en Irak et en Syrie.
On laissera ici aux querelleurs le loisir de débattre de la question de savoir qui a raison et qui a tort : nous ne partageons pas avec eux cette passion. Il est clair que, derrière l’incident lui-même, il y a un problème plus épineux, qui est la présence en Syrie d’une minorité turcophone — les Turkmènes — qui ont basculé dans l’opposition armée contre le régime en place, au lendemain des événements de mars 2011, et qui se trouvent pris pour cible, aujourd’hui, par les bombardements de l’armée russe.
Le souci du gouvernement turc n’est pas seulement de manifester sa solidarité envers cette minorité, qui partage avec le peuple de son pays l’utilisation de la même langue et une origine ethnique commune, il est aussi de ménager, dans la perspective d’une paix prochaine, la présence de cette communauté turcophone au sein d’un futur parlement syrien. Pour bien des raisons, cette présence serait très utile. Pouvoir faire contrepoids à la présence kurde dans ce même parlement n’en serait pas la moindre, quand on sait l’obsession des autorités turques par la question des Kurdes et de leurs revendications territoriales.
L’armée de l’air russe s’est assigné une mission claire : alléger la pression exercée sur l’armée de Bachar de manière à lui rendre sa capacité d’initiative et frapper les organisations jihadistes qui menacent le monde de leurs actions terroristes, sans du tout en exclure la Russie.
Mais derrière ce mandat apparemment simple, il y a le risque de se prendre les pieds dans l’écheveau des entités ethniques et confessionnelles de la région, avec la complexité redoutable de leurs réseaux d’alliances. A la retenue des Turcs devrait donc s’ajouter une plus grande attention des Russes à ne pas, de façon intempestive, réveiller d’anciens réflexes de solidarité qui ne servent pas le renforcement de la coalition.