Le professeur Hédi Timoumi s'est égaré l'autre soir en prêtant aux Berbères des pratiques sexuelles dépravées. Il s'appuyait sur un vague témoignage que rien ne conforte parmi les écrits des grands auteurs qui ont eu à se pencher sur les mœurs de nos lointains ancêtres, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. De son point de vue, ces pratiques supposées feraient partie des raisons qui expliquent la présence dans notre langage tunisien de tant d'expressions vulgaires... Chaque fois, explique-t-il, que nous assistons à une crise d'autorité du pouvoir religieux dans le pays, c'est ce fond berbère - dissolu - qui refait surface et occupe à nouveau l'espace sonore.
Son explication, dans cette partie au moins, nous paraît indigne d'une démarche scientifique et trahir de sordides préjugés.
Mais il faut quand même lui rendre hommage de hisser la question de notre pratique de la langue, et de ses dérives, au rang de sujet de recherche. Et ce qu'il dit par ailleurs mérite attention. Comme quand il rappelle qu'au temps de saint Augustin, le phénomène des grossièretés verbales était déjà présent. Ce qui n'est pas très réjouissant d'ailleurs. Parce que si cette habitude a des racines si lointaines, il se peut bien qu'il soit très difficile de s'en débarrasser. Notons quand même que la population urbaine est plus particulièrement concernée, et les jeunes plus que les vieux.
Un élément d'explication qui a été également évoqué et qui nous paraît cette fois sérieux, c'est le fait que nous avons toujours reçu la civilisation d'ailleurs : des Phéniciens, des Romains, des Arabes, des Turcs... La langue, d'ailleurs, venait souvent dans le lot, avec ses normes et ses valeurs.
On pourrait faire remarquer ici que nous ne faisons pas exception par rapport à nos cousins du Maghreb. Alors que c'est chez nous que la laideur verbale fait des prouesses... C'est vrai ! Mais il existe des raisons géographiques qui ont fait que les envahisseurs ont chaque fois tenu à imposer la civilisation et la langue chez nous plus qu'ailleurs et avec plus de rigueur. L'urgence - stratégique - a créé les conditions d'une certaine violence. Donc aussi d'un conflit au sein de la population. Ou au moins de certaines formes de réticence et de résistance.
Toute une culture "underground", avec son lexique ordurier, s'est constituée au fil des siècles. Elle exprimait son refus. Sans jamais pouvoir se transformer en quelque chose de fécond. Sans jamais pouvoir se référer à un fond de civilisation propre, qui lui était de toute façon dénié - comme on en a eu l'illustration par notre professeur. Sans jamais trouver au sein de la culture de l'élite ce qui pourrait lui servir de passerelle afin de se libérer du cercle de sa vulgarité... C'est pourquoi, c'est aujourd'hui un de nos grands chantiers.
Il ne s'agit pas seulement d'une opération d'assainissement linguistique. Il s'agit de réconcilier l'habitant de ce pays avec la culture, et avec sa capacité de produire du beau avec la langue. Y compris dans l'insoumission à l'ordre établi.