Lorsque le régime de Ben Ali est tombé, la Tunisie a été le premier pays arabe à engager un processus démocratique. Son exemple a été suivi par d'autres pays arabes et, bien que les expériences qui ont suivi aient presque toutes tourné au drame, et que le "Printemps arabe" ait commencé à être dénoncé par certains comme une basse manœuvre voulue par l'étranger, ce pays a continué à illuminer les espoirs des peuples comme une fenêtre ouverte sur un avenir de liberté.
Lorsque notre vie démocratique s'est enlisée ensuite dans la crise, et que la formation des gouvernements a du s'accompagner d'alliances contre-nature, synonymes de magouilles et de compromis douteux, jusqu'à se terminer par ce spectacle de joutes quotidiennes dans les murs du Parlement, au sentiment de fierté s'est mêlé celui de la honte. Ce que nous apportions à nos frères arabes, c'était une promesse de liberté, mais aussi d'une sacrée pagaille qui ne nous honorait pas... Mais enfin, nous avions encore conscience du privilège qui était le nôtre.
Aujourd'hui, il semble que beaucoup d'entre nous, par dépit peut-être, soient prêts à refermer la fenêtre : la seule par laquelle la lumière nous parvient, non seulement à nous, mais à tous les autres peuples arabes qu'une mauvaise fatalité de l'Histoire condamne à vivre sous des régimes autoritaires et corrompus. Comme si ces moments d'exaltation vécus dans le passé, au lendemain de la révolution, n'avaient laissé en nous aucune trace de ce sentiment de responsabilité que nous avions éprouvé.
Nous sommes comme cet éclaireur qu'une armée perdue suit en tremblant dans la nuit, mais qui s'apprête à laisser choir son flambeau, pour cette seule raison que sa petite personne est dégoûtée par la difficulté du parcours.
Pourtant, c'est le sentiment de porter entre les mains le salut de tous qui peut encore nous sauver. Il nous faut cette audace par laquelle nous relancerions l'expérience démocratique, dans une version qui soit digne de nos attentes communes. Les démissions ne sont jamais des actes salvateurs, surtout si elles nous ramènent en arrière…
Aujourd'hui comme demain, on peut se trouver dans des situations où on aurait à deviser sans fin sur les intentions de nos gouvernants, en étant à la merci de leurs plans secrets. Mais une chose peut changer la donne : que naisse en nous le désir de répondre à cet appel de l'Histoire, qui nous a désignés pour lever une malédiction qui nous touche comme elle touche d'autres peuples. Nous sommes ses élus : pouvons-nous nous dérober ?